Schizophrénie : guérir, vivre avec, avancer

19/06/2025

Un mot sur la schizophrénie : au-delà des mythes

La schizophrénie touche plus de 600 000 personnes en France selon l’Inserm. Les préjugés restent tenaces et masquent souvent une question essentielle pour les familles : la schizophrénie est-elle une maladie dont on peut guérir, ou s’agit-il d’un trouble chronique à vie ? Ce questionnement, qui surgit dès l’annonce du diagnostic, évolue au fil des années. Il colore les espoirs, structure l’accompagnement, et influence la façon de se projeter. 

La schizophrénie ne signifie pas dédoublement de la personnalité, ni perte irrémédiable de capacités. C’est une maladie complexe, aux symptômes variés, qui évolue en fonction de nombreux facteurs. Aujourd’hui, il existe des traitements, des approches psychosociales, et des possibilités d’amélioration inattendues. Mais la question demeure : la guérison est-elle possible ? Ou s’agit-il d’apprendre à vivre avec une réalité durable ?

Schizophrénie : chronique ou curable ? Ce que disent les études

Si l’on se réfère aux classifications médicales internationales (dont l’OMS et la HAS), la schizophrénie est généralement considérée comme une maladie chronique – c’est-à-dire qui s’inscrit dans la durée, avec des périodes d’activité plus ou moins aiguë. Toutefois, “chronique” ne veut pas dire figée.

Les chiffres issus d’études internationales (notamment la méta-analyse de Harding et al., American Journal of Psychiatry, 2001), sont souvent méconnus :

  • 20 à 30 % des personnes atteintes peuvent espérer une rémission complète durable : c’est-à-dire absence ou grande atténuation des symptômes sur plusieurs années, sans rechute majeure.
  • Environ 50 % connaissent une amélioration significative de leur état, parfois avec des symptômes résiduels, mais capables de mener une vie de qualité (études contrôles, OMS, 2011).
  • Pour 20 à 30 %, la maladie persiste de façon plus sévère, avec une succession d’épisodes aigus et des difficultés leur imposant un soutien régulier.

La notion de « guérison » prête à débat. En psychiatrie, on parle plus volontiers de rétablissement : il s’agit moins d’une disparition totale des symptômes que d’un retour à un équilibre, et d’un projet de vie satisfaisant. Cette vision, portée par des personnes concernées et des professionnels, change la donne.

Ce qui aide réellement : traitements, accompagnement, facteurs de rétablissement

Le parcours de soin et de vie face à la schizophrénie repose sur un ensemble de leviers, dont l’efficacité s’est affinée avec le temps :

  • Médicaments antipsychotiques : Ils ont réduit la fréquence et la gravité des troubles psychotiques depuis les années 1960. Toutefois, ils n’agissent pas seuls et leurs effets varient selon les personnes (Inserm, 2021).
  • Accompagnement psychosocial : Psychoéducation, remédiation cognitive, ateliers d’insertion, groupes d’entraide : ces approches diminuent les rechutes, améliorent les compétences sociales et favorisent l’autonomie.
  • Environnement social : Plus le soutien familial et l’entourage sont présents, plus les perspectives d’amélioration augmentent.
  • Engagement des personnes concernées : Prendre les traitements, comprendre sa maladie, s’impliquer dans ses propres soins et décisions est un facteur central de rétablissement.
  • Accès précoce aux soins : Plus le diagnostic et le traitement sont précoces, plus les chances d’amélioration s’accroissent (HCSP, 2023).

La France accuse du retard dans le développement de ces prises en charge globales ; on constate d’importantes disparités locales, ce qui pèse sur les trajectoires.

Une maladie à visages multiples : facteurs de chronicité, facteurs de mieux-être

La réalité de la schizophrénie ne se résume pas à un diagnostic ni à une évolution unique. Plusieurs éléments influencent le parcours :

  • Âge d’apparition : Plus l’apparition est précoce (notamment à l’adolescence), plus la maladie risque d’être durable. Un début entre 15 et 25 ans est le plus fréquent (Inserm).
  • Nature de la prise en charge initiale : Un traitement rapide, une écoute attentive, et une mobilisation des ressources familiales jouent un rôle protecteur.
  • Soutien et non-stigmatisation : Plusieurs études (Etain et al., 2022, revue "Psychiatry Research") montrent que l’isolement social et les discriminations aggravent de façon notable le pronostic.
  • Parcours de soins complet: Certains dispositifs pluridisciplinaires (pairs-aidants, case managers, associations) sont encore trop rares mais montrent des résultats encourageants sur l’autonomie et l’intégration citoyenne (Psychologies.com, 2020).

À l’inverse, la précarité, l’absence de repères, des parcours répétés à l’hôpital sans projet de sortie ni relais en ville sont autant de facteurs maintenant la maladie dans une forme chronique subie.

Peut-on parler de guérison ?

Contrairement à une infection dont on observe la disparition totale de l’agent pathogène (« guérison biologique »), la schizophrénie ne fonctionne pas sur ce modèle. On parle donc aujourd’hui de différents niveaux d’amélioration :

  1. Rémission symptomatique : Absence de signes psychotiques marqués pendant plusieurs mois ou années, évaluable grâce à des échelles cliniques (Andreasen et al., 2005).
  2. Mieux-être social et fonctionnel : Capacité à vivre de façon autonome, à reprendre des études, à travailler, à créer des liens sociaux.
  3. Restitution des projets de vie : Être acteur dans ses choix, retrouver du plaisir, donner du sens à sa vie.

De nombreuses personnes réaménagent leur quotidien, replongent parfois dans les difficultés, puis rebondissent par phases. La stabilité d'emploi, le retour à une vie affective, la formation professionnelle sont des marqueurs forts de progrès, même si les symptômes persistent à bas bruit.

Les témoignages qui changent la perspective

Ces dernières années, le mouvement du « Rétablissement en santé mentale » s’est développé, porté par des experts d’expérience (personnes elles-mêmes concernées) et des associations (comme l’Unafam, Advocacy France, le collectif Schizo Oui). Par leur parole, ils donnent à voir d’autres horizons :

  • Le rétablissement, même partiel, se construit souvent sur le temps long, par essais et erreurs.
  • L’accès à une vie citoyenne (logement en milieu ordinaire, travail accompagné, activités bénévoles) est possible, y compris après des parcours hospitaliers lourds.
  • Beaucoup insistent sur l’importance de trouver des professionnels qui non seulement soignent, mais croient en leurs capacités.

Le psychiatre britannique Sir Robin Murray, pionnier de la recherche en schizophrénie, rappelait récemment : « On sous-estime dramatiquement le potentiel de récupération des personnes concernées lorsque le soutien adéquat est offert, même après plusieurs années d’évolution difficile. » (The Lancet Psychiatry, 2023).

Sortir du tout ou rien : soigner, accompagner, espérer

La notion de maladie chronique ne doit donc jamais être prise comme une fatalité. Au fil des études, des modes de prise en charge et du témoignage vivant des personnes concernées, il apparaît clairement que la trajectoire n’est jamais linéaire – ni désespérée.

  • La diversité des évolutions impose d’individualiser chaque accompagnement : deux personnes atteintes de schizophrénie n’auront jamais la même histoire, les mêmes obstacles ni les mêmes atouts.
  • L’enjeu du repérage précoce, du maintien du lien, et du soutien aux proches reste primordial dans notre système actuel, encore trop hospitalo-centré.
  • Des dispositifs locaux innovants émergent, notamment en Haute-Garonne et ailleurs, mêlant approche médicale, sociale, éducative et aide par les pairs.

Perspectives : guérir autrement, vivre dignement

La schizophrénie reste considérée comme une maladie chronique dans la majorité des cas. Pourtant, les chiffres montrent que les possibilités de rémission et d’amélioration sont bien plus importantes que ce qu’on imagine souvent. Le terme de « guérison » doit être pensé à la lumière du rétablissement, du mieux-être social et de la possibilité d’avancer avec ou après la maladie.

Rien n’est jamais écrit d’avance : les progrès de la recherche, l’attention nouvelle portée au vécu des familles et le mouvement pour le rétablissement redessinent peu à peu ce que vivre avec un trouble psychique signifie concrètement. Pour les familles, les aidants et les personnes malades, cela ouvre la voie à de nouveaux possibles, moins enfermés dans un pronostic, plus libres de rêver, d’espérer et surtout, de vivre dignement.

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