Schizophrénie : l’épreuve du quotidien pour les personnes et leurs proches

30/06/2025

Comprendre la schizophrénie au-delà des clichés

La schizophrénie est un trouble psychique complexe qui touche près de 600 000 personnes en France (INSERM, 2022). Elle n’est ni rare, ni synonyme de violence, ni de « double personnalité » — contrairement à ce que l’on entend parfois. Il s’agit d’un trouble chronique, le plus souvent diagnostiqué en fin d’adolescence ou au début de l’âge adulte, et qui impacte de multiples aspects de la vie quotidienne, bien au-delà des périodes de crise.

Près de 24 millions de personnes vivent avec la schizophrénie dans le monde, selon l’OMS (2022). Pourtant, peu d’informations concrètes circulent sur la façon dont elle transforme les gestes ordinaires, les projets personnels et la place dans la société.

Les conséquences sur l’autonomie : agir au rythme des symptômes

La schizophrénie se caractérise par des symptômes variés. On distingue généralement :

  • Symptômes dits « productifs » : hallucinations (auditives, visuelles), délires, troubles de la pensée logique, agitation.
  • Symptômes « négatifs » : retrait social, perte d’initiative, difficultés à exprimer ses émotions, appauvrissement du langage.
  • Troubles cognitifs : problèmes d’attention, de mémoire, d’organisation.

Le quotidien est souvent affecté par une perte de capacité à organiser, planifier et exécuter des actions simples : faire ses courses, respecter l’hygiène, gérer son budget, suivre un traitement. Ce n’est pas une question de volonté : ces capacités sont « entravées » par la maladie elle-même.

Une étude menée par Santé publique France (Baromètre santé, 2021) révèle que 60 % des personnes vivant avec une schizophrénie ont besoin d’aide régulière pour au moins une tâche essentielle (hygiène, alimentation, démarches administratives). Ces difficultés fluctuent selon les périodes et les personnes, mais elles créent souvent une dépendance envers l’entourage ou les professionnels.

L’impact sur la vie sociale et familiale : l’ombre de l’isolement

La schizophrénie affecte la capacité à maintenir des relations, à faire face aux attentes sociales, à préserver des liens familiaux stables. Les raisons sont multiples :

  • La stigmatisation sociale, portée par la peur et la méconnaissance de la maladie : selon une enquête du collectif Schizo ? Oui !, 74 % des personnes concernées disent avoir subi au moins une forme de discrimination en France (2020).
  • La fragilité émotionnelle, la difficulté à percevoir ou exprimer ses sentiments, à comprendre les intentions d’autrui.
  • Les « replis » fréquents lors des périodes de symptômes négatifs, qui coupent du cercle familial ou amical.

Côté famille, les conséquences sont majeures : il est prouvé qu’un aidant familial sur deux ressent un isolement profond, parfois aggravé par l’épuisement ou le regard de l’entourage (UNAF, 2022). Les parents, frères et sœurs ou conjoints se retrouvent souvent en première ligne sans y avoir été préparés. Beaucoup témoignent d’une « fatigue morale » liée à la gestion des imprévus, du suivi des soins, de la protection contre les dangers, de l’organisation de la vie à la maison.

Les liens sociaux s’amenuisent : plus de 40 % des personnes concernées par la schizophrénie déclarent ne plus voir d’amis en dehors de leur famille (Fondation Pierre Deniker, 2022). Pourtant, la reconstruction d’un tissu social reste un levier de rétablissement essentiel.

Emploi, études, projets de vie : la grande difficulté d’insertion

La vie professionnelle est l’un des domaines les plus fragilisés : seuls 15 % environ des personnes vivant avec une schizophrénie exercent une activité salariée, contre 65 % dans la population générale (Source : Dossier ORS Occitanie, 2021).

  • Les troubles de la concentration et la fatigabilité rendent difficile l’adaptation à des rythmes soutenus.
  • Les difficultés sociales compliquent la relation avec collègues ou supérieurs.
  • L’absence d’accompagnement adapté ou la méconnaissance de dispositifs d’insertion renforcent l’exclusion.

Côté études, moins de 10 % des jeunes diagnostiqués poursuivent un parcours universitaire contre 44 % dans l’ensemble des jeunes français (source : Inserm, 2021). L’université de Haute-Garonne recense chaque année moins de 20 étudiants bénéficiant d’un accompagnement spécifique pour troubles psychiques sévères, alors que les besoins sont largement sous-déclarés.

Cette « mise à l’écart » des circuits professionnels ou scolaires contribue au sentiment d’être « hors jeu », mais aussi à une précarité matérielle : plus de 60 % vivent sous le seuil de pauvreté en France, d’après un rapport du Défenseur des droits (2020). L’accès à un logement autonome reste également très complexe, surtout lorsqu’il faut conjuguer démarches administratives, soins et aléas de la maladie.

Vivre avec la maladie : santé, espérance de vie, accès aux soins

La schizophrénie s’accompagne souvent d’autres troubles physiques : diabète, maladies cardiovasculaires, surpoids lié aux traitements, addictions… Les études montrent que l’espérance de vie moyenne est réduite de 15 à 20 ans chez les personnes concernées, principalement à cause de la précarité sanitaire, du tabagisme ou d’un moindre accès aux soins somatiques (THE LANCET, 2022).

  • Se rendre régulièrement chez le médecin ou le dentiste s’avère difficile pour beaucoup, en raison du manque de repères, de la peur de la stigmatisation ou de la méconnaissance des parcours possibles.
  • L’observance des traitements est un défi majeur, notamment à cause d’effets secondaires parfois lourds.
  • Le suivi psychiatrique irrégulier conduit à un risque accru de rechute : on estime que 80 % traverseront au moins une rechute sérieuse au cours des cinq années qui suivent le diagnostic (INSERM, 2019).

En Haute-Garonne, les délais d’accès à un psychiatre ou à un service spécialisé peuvent atteindre plusieurs semaines, voire des mois selon les secteurs (Données ARS Occitanie, 2023). Cette attente aggrave parfois la situation et décourage les démarches.

Des ressources pour alléger le quotidien : ce qui fonctionne, ce qui reste à construire

Face à ces difficultés, des dispositifs existent pour accompagner les personnes et leur entourage :

  • Les Centres Médico-Psychologiques (CMP), qui proposent gratuitement des suivis médicaux, sociaux, et des soins de réhabilitation.
  • Les Groupes d’Entraide Mutuelle (GEM), qui permettent de retrouver des liens sociaux en dehors de l’hôpital.
  • L’AJPA (Accueil de Jour pour Personnes avec Autisme ou Psychose Associée), qui aide à retrouver rythme, autonomie et compétences sociales.
  • Les dispositifs d’emploi accompagné et les ESAT, permettant de conserver ou reprendre une activité professionnelle avec un soutien adapté.

Cependant, l’accès à ces ressources dépend de la localisation, de l’information reçue, du souhait de la personne… et du « labyrinthe administratif » que beaucoup dénoncent.

Des associations comme Unafam 31, le Groupe d’Entraide Mutuelle Argonautes, ou la Maison des Usagers du CHU de Toulouse proposent soutien, conseils pratiques et informations tout au long de l’année. Leur force réside dans la proximité, la compréhension réelle des obstacles quotidiens et le partage d’expériences concrètes. Voir la liste des associations référencées sur Haute-Garonne.

Les soins innovants, comme la remédiation cognitive, la psychoéducation ou les ateliers d’entraînement aux habiletés sociales, ont montré leur intérêt. Citons, à Toulouse, le programme « REHAB », reconnu au niveau national pour son approche sur-mesure.

Du côté des proches, l’accès à l’information et au répit progresse, mais reste encore très en deçà des besoins : seulement 12 % des familles françaises bénéficiaient d’un accompagnement global en 2022 (UNAFAM, baromètre 2022).

S’approprier le quotidien : pistes et espoirs

Vivre avec la schizophrénie, c’est apprendre à composer avec une réalité mouvante, dessiner des repères face à l’incertitude, et ne (presque jamais) renoncer à sa place dans la société. Si les obstacles sont nombreux, l’évolution des soins, la montée en puissance des aidants et l’entraide locale ouvrent de nouveaux possibles.

Travailler, aimer, vivre en autonomie, se projeter… : autant de chemins singuliers qui méritent d’être soutenus. Pour tous ceux qui vivent avec la schizophrénie, la compréhension du quotidien est la première marche vers des solutions adaptées et des changements à portée de main.

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